Revue de presse 2019

LE MONDE DE L’EPICERIE FINE –DECEMBRE 2019

YVON MADEC L’OSTREICULTEUR TROIS ETOILES

Issu d’une longue lignée d’ostréiculteurs bretons, Yvon Madec perpétue une tradition initiée par son arrière-grand-père en 1898 dans les Abers, sur le site de Prat-Ar-Coum (Finistère). Rencontre avec un passionné dont les trésors iodés – huîtres creuses, plates, spéciales, boudeuses…-, figurent à la carte des plus grandes tables étoilées.

LMEP : Etait-ce une évidence pour vous de poursuivre l’aventure initiée par nos bisaïeul ?

YM : Je me serais bien vu photographe mais mon père m’a dit : « Non, j’ai besoin de toi ! » J’ai donc commencé à travailler à ses côtés en 1973 avant de reprendre le flambeau en 1985 pour développer l’exploitation. Nous produisons aujourd’hui 500 tonnes d’huîtres creuses, 50 tonnes d’huîtres plates, et la 5è génération est sur les rails !

LMEF : Lorsqu’il s’est installé sur les rives de l’Aber Benoît, votre ancêtre avait-il tout de suite compris l’intérêt de lancer un produit de qualité ?

YM : Absolument, Au début du XX siècle nous fournissions déjà la maison Prunier. Mes ancêtres qui ont notamment inventé les parcs en eaux profondes en rade de Brest, ont pourtant affronté de nombreuses épreuves durant les années 70 : 2 épizooties ont décimé toutes les huîtres – les plates, puis les creuses-, et lorsque l’Amoco Cadiz s’est échoué à 5 km de l’Aber Benoît en 1978, il a fallu détruire l’intégralité de notre production à cause de la marée noire.

LMEF : Comment avez-vous rebondi ?

YM : Grâce à la revente de coquillages et de crustacés dont nous commercialisons aujourd’hui 150 tonnes.

LMEF : Les chefs étoilés plébiscitent vos produits depuis longtemps. Qu’est-ce qui fait la singularité des huîtres de Prat-Ar-Coum ? Quelles sont vos méthodes d’élevage ?

YM : Nous maîtrisons tout : de la naissance à l’assiette. Et contrairement à certains qui vendent des huîtres adolescentes de deux ans dont le remplissage n’a pas encore eu lieu, nous laissons du temps au temps et ne vendons que des spécimens matures (3 à 4 ans). Si nous avons conservé des traditions telles que la culture de l’huître au sol, c’est parce que nos sites d’élevage, répartis sur une centaine d’hectares à proximité des plus vastes champs d’algues d’Europe, sont uniques : l’Aber Benoît, l’Aber Wrac’h, la rade de Brest. Une fois produit, le naissain est placé en baie de Morlaix mais à un moment donné, toutes nos huîtres reviennent dans les Abers pour y être affinées et acquérir la signature Prat-Ar-Coum. Le va-et-vient des marées, les échanges constants entre l’eau salée très iodée et l’eau douce des rivières du Finistère génèrent une importante production planctonique qui leur confère des qualités gustatives exceptionnelles, une longueur en bouche et des accents de noisettes.

LMEF : Votre réputation dépasse-t-elle les frontières ?

YM : Oui. Nous nous développons en Chine, au Moyen-Orient et dans les principales capitales européennes. En plus de la communication, ma fille Caroline est en charge de cette partie export qui représente environ 15% de notre CA.

LMEF : Si la France est le premier producteur européen d’huîtres et que les ventes explosent au moment des fêtes, certains phénomènes comme le réchauffement climatique jettent une ombre au tableau. Etes-vous inquiet pour l’avenir de la filière à court terme ?

YM : Non car la Bretagne est une zone tempérée où les courants sont nombreux. Le réchauffement climatique fait même de notre région l’un des endroits de France les plus favorables à la production de naissain.

L’augmentation de la température de l’eau y est beaucoup moins sensible que dans le bassin d’Arcachon par exemple, où elle a dépassé cet été les 30 degrés.

LMEF : Le producteur d’excellence que vous êtes apprécie-t-il les épiceries fines ?

YM : Bien sûr ! Et je vois d’un très bon œil le regain d’intérêt dont elles dont l’objet. En montrant aux consommateurs qu’il existe d’autres produits, elles éveillent leur conscience et les mettent en garde contre la pensée unique de la grande distribution. Quant aux amateurs d’huîtres, ils trouveront toujours dans les épiceries fines de délicieux accompagnants (vins, beurre, condiments…) et de précieux conseils.

LMEF : Comment faire le bon choix parmi toutes ces huîtres d’origines diverses présentes à Noël sur les étals ?

YM : Oubliez les grandes familles : Marennes-Oléron, la Bretonne, la Vendéenne. Cela ne signifie rien. C’est comme si l’on vous vendait un vin en disant : « c’est du vin rouge ». Ciblez plutôt votre région de prédilection. Rien qu’en Bretagne, l’huître de Paimpol diffère de celle de Cancale, de Morlaix, des Abers ou du Morbihan. »

Essayez les « boudeuses » si vous en trouvez. De nombreux chefs raffolent de ces bonbons de la mer bien charnus qui explosent en bouche. Bref, soyez curieux et… que le meilleur gagne !

www.prat-ar –coum.fr

Propos recueillis par Patricia Khenouna


3 ETOILES – Automne 2019

YVON MADEC, pape marin du pays des abers. Une épopée depuis 1898

Le conquistador de l’huître grand cru

PRAT-AR-COUM , la « prairie des vagues », en langue bretonne, est à l’origine un lieu-dit situé sur l’aber Benoît. Il est devenu la marque de fabrique d’Yvon Madec, le fournisseur des grands chefs, héritier de trois générations d’ostréiculteurs.

Par Sylvie Bonin

Mignonne, allons voir si les huîtres sont ouvertes au restaurant…écrivait au XIXè siècle Charles Monselet, l’un des premiers journalistes gastronomiques français, auteur d’un « Almanach des gourmands » en 6 volumes. L’huître, comme la rose, peut inspirer la poésie… et l’émerveillement !

C’est ce que l’on ressent en arrivant à Prat-Ar-Coum, où la rivière vient se confondre avec la mer, où le bruissement des arbres répond au roulement des vagues. Même si ça sonne un peu comme rahat loukoum » (qui signifie en arabe « repos du gosier », chacun ses goûts en bouche…), nous sommes bien en Bretagne. Plus précisément sur la côte nord-ouest du Finistère, à 30 kilomètres de Brest, dans le pays des abers, ces bras de mer qui s’enfoncent profondément dans les terres très découpées du Léon. Les abers, sont des vallées fluviales, différentes des estuaires car elles ont été creusées en amont par une petite rivière et non un fleuve côtier. Leur sillon est moins profond, leur pente moins raide. Le brassage d’eau salée et d’eau douce, rythmé par les marées, favorise le développement des planctons dont se nourrissent les huîtres. C’est ce qui donne aux huîtres de Prat-Ar-Coum cette saveur particulière, à la fois douce et iodée, au goût de noisette caractéristique.

Prat-Ar-Coum, c’est au bout de l’aber Benoît – le « havre bénit » -, le lieu-dit où s’est installée la famille Madec en 1898. Il y a 120 ans, ils étaient parmi les premiers à commercialiser des huîtres « salubres »… et fournissaient déjà des grandes tables comme prunier à Paris ou l’Huitrière à Lille. Après son arrière-grand-père, son grand-père et son père, Yvon Madec a repris les rênes de l’entreprise en 1985, rejoint aujourd’hui par sa fille Caroline, représentant la cinquième génération. L’entreprise qui emploie une trentaine de personnes, exploite 100 hectares de parcs, produisant 500 tonnes d’huîtres par an, dont 40% sont vendues pendant les fêtes de fin d’année.

Les huîtres mettent à peu près 3 ans pour atteindre leur taille adulte. Elles sont élevées pendant un an sur les parcs en eaux profondes de la rade de Brest et de la Baie de Morlaix, avant de rejoindre les parcs de l’aber Benoît puis d’y être affinées dans les bassins où elles prendront le goût particulier du « terroir »de Prat-Ar-Coum. Réputées pour leur fine saveur et leur chair croquante, elles se retrouvent tant sur les plateaux des très grandes brasseries (La Coupole, Le Bar à huîtres, la Méditerranée, Le Stella…) que dans les cuisines des grands chefs (Guy Savoy, Pierre Gagnaire, Alain Ducasse, Michel Rostang…) et de jeunes étoiles (comme Nolwenn Corre à la pointe Saint-Mathieu). Dix-huit fois médaillées au concours général agricole de Paris, elles s’exportent aussi en Europe, en Asie, au Moyen Orient et jusqu’à Tahiti. L’exportation, en augmentation continue, représente 20% du chiffre d’affaires.

Yvon Madec, des yeux gris-bleu éclairant un visage buriné auréolé d’une crinière de cheveux blancs, est un travailleur acharné. Levé chaque matin à 4 heures, il profite de ce moment de quiétude pour planifier le travail de ses équipes sur les différents sites de production. Il a commencé à travailler avec son père en 1973. « Ce n’était pas facile, dans les années 1970… se souvient-il. D’abord, il y a eu la maladie des huîtres plates début 1970. Puis en 1978, le naufrage de l’Amoco Cadiz » à Portsall, à une dizaine de kilomètres d’ici à vol d’oiseau, qui a déversé 220 000 tonnes de fuel sur nos côtes. Trois années de production anéanties en un jour, et dix ans pour relancer l’activité. »

Dans les années 1990, Yvon Madec a transformé et modernisé l’entreprise, avec notamment l’installation d’un système de filtration et de purification de l’eau qui garantit la salubrité des huîtres. « On a lifté la vieille dame » résume-t-il dans un sourire. Les huîtres représentent 65% des ventes : environ 95 % d’huîtres creuses, appelées aussi portugaises », et 5% de plates. « Les huîtres plates repartent à l’élevage, constate Caroline Madec. Il va falloir rééduquer les consommateurs, qui les avaient un peu perdues de vue depuis les années 1970…. »

35% des ventes de l’établissement sont réalisées par les autres coquillages (coquilles Saint-Jacques, palourdes, praires, ormeaux, bigorneaux) et les crustacés (tourteaux, homards, langoustes).

L’été, du 1er juillet au 31 août, on peut les déguster sur place, tout juste sortis de l’eau, sur le site de production. La guinguette de Prat-Ar-Coum, aménagée dans l’ancienne maison du contremaître, surplombe l’aber et les parcs à huîtres. Elle peut accueillir 25 personnes à l’intérieur et autant sur la terrasse, où l’écailler, dans sa cabane, ouvre les huîtres et cuit les crustacés à la vapeur à la commande. Ils sont servis avec une salade de pommes de terre des abers et suivis d’un far breton ou d’une glace au lait bio. Le tout arrosé de vin rouge, blanc ou rosé avec une mention spéciale pour la cuvée maison : le muscadet Grand Mouton de Louis Métaireau. Les bouteilles, scellées à la cire, séjournent pendant plusieurs mois par 15 mètres de fond à une température de 9 degrés. Les traces de varech et de coquillages sur le flacon attestent de leur passage dans cette cave marine.

Dans cette escale entre la campagne et la mer, où le souffle de l’océan pousse les nuages et l’air iodé envahit la terre, où les bateaux colorés des goémoniers semblent amarrés aux petites maisons blanches perchées sur les rives, le coucher de soleil sur l’aber Benoît est un instant magique. Comme disait le poète Léon-Paul Fargue, cédant lui aussi au charme des mollusques : « j’adore les huîtres : on a l’impression d’embrasser la mer sur la bouche… »


Prat-Ar-Coum, l’huître des Abers

Texte Patrick Cadour

Préface Guy Savoy

Tout connaître sur l’huitre, de sa naissance à sa dégustation, de son histoire depuis l’Antiquité au battement de son cœur, tel est l’objet de ce livre. A travers le savoir-faire de la famille Madec, ostréiculteurs depuis 1898 à Prat-Ar-Coum, sur les rives de l’aber Benoît, on apprend à la choisir, à l’ouvrir, à la servir, à la cuisiner. Une trentaine de recettes vous met l’eau (de mer) à la bouche, des ravioles d’huîtres à la salicorne de Nolwenn Corre au tartare de bar aux huîtres asperges et saté de Gilles Arzur. E ditions de l’Epure, 22 euros